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Les 36000 communes françaises
16 octobre 2013

Les Jacquemarts d'Auffay et quelques autres villes

Retour à la page d'Auffay

 

Les Jacquemarts



Ils sont à peu près les seuls dans notre département, ces curieux Jacquemarts d’Auffay, ces amusants automates qui sonnent l’heure dans une petite tourelle située près du portail sud de l’église. C’est leur rareté dans la région qui incite à rechercher un peu l’origine et l’histoire de ces automates amusants et populaires qui firent la joie de nos ancêtres, comme des jouets modernes égaient les enfants.

Ces grotesques figurines auxquelles bien souvent la légende a donné des surnoms drôlatiques, sortes de pantins auxquels d’ingénieux mécanismes fournissent les mouvements simplifiés de la vie ne furent que les remplaçants des anciens guetteurs qui, perchés en haut des beffrois, signalaient les heures à son de trompe, indiquaient les incendies ou l’approche des ennemis.

Plus tard, quand les cloches communales eurent pris place dans les campaniles des beffrois, ces guetteurs devinrent des clochetons ou des sonneurs qui furent ensuite remplacés par des automates mécaniques, exerçant la même fonction… avec moins de peine et de fatigue.

Les anciens Jacquemarts d’Auffay – car ceux qui existent maintenant sont relativement modernes- ne semblent pas remonter, autant qu’on peut en juger par leur costume, au dessus du XVIIe siècle. Ils faisaient certainement  partie d’une horloge ancienne qui devait présenter un intérêt, si l’on en juge par le soin que les habitants d’Auffay en prirent depuis longtemps. La première mention que l’on rencontre des Jacquemarts d’Auffay, ou plutôt de l’horloge, se trouve dans le compte de 1691 où l’on voit qu’un sieur Nicolas Hébert était payé 35 livres pour conduire l’horloge et que 25 livres étaient données, quelques années plus tard à un armurier, Isaac Beatte, pour la réparer.

Le même armurier serrurier la conduisit quelques temps ; puis lui succéda, en 1727, un sieur Jacques Bonnechose. Les réparations sont du reste assez nombreuses. Tour à tour, on voit qu’elles furent faites, en 1703, par Jean Ballue qui étaient horloger à Yvecrique et, en 1741, par le sieur Pitoize, qui est qualifié de maréchal et cavalier en garnison à Auffay. A cela rien d’extraordinaire, car les maréchaux comme les armuriers et les éperonniers faisaient partie de la corporation des horlogers. Il y avait également au XVIIe de bons horlogers dans les campagnes : Martin de La Londe à Fauville ; Philippe Marie à Blainville ; Gunard dit Vendôme qui répara le Gros Horloge de Rouen, demeurant à Alizay.

Si l’on en juge par l’importance de la somme, l’horloge d’Auffay dut être en très grande partie, refaite en 1762, date à laquelle, on paie 200 livres comme acompte à l’horloger Charles Sauvage qui devait habiter Buchy, car le même compte indique que Nicolas Baudart, voiturier, « pour avoir porté porté et rapporté l’horloge à Buchy reçut 4 livres et 5 sous ». En même temps, on payait « la viande, le cidre et les œufs pour la nourriture des horlogers qui ont placé l’horloge ».En 1768, la fabrique (comité paroissial) payait encore à Simon Vallot, horloger, de nouveaux travauxet le même praticien exécutait, le 22 mars 1787, « deux pignons à Paquet Sivière et Houzou Bénard » les deux figurines automatiques qui ornaient l’horloge d’Auffay.

Ce sont bien là les deux noms populaires des deux Jacquemarts cauchois, deux noms plus connus – disait l’abbé Cochet – que ceux de grands conquérants comme Alexandre ou César. Les deux Jacquemarts, postés dans leur petite loggia, comme dans un guignol, représentaient deux bons paysans vêtus à la mode du XVIIe, avec la collerette, le pourpoint à basques relevées et la culotte courte. Houzou Bénard portait un chapeau relevé en avant et rabattu en arrière, comme la capote cirée des marins. Paquet Sivière arborait un feutre retroussé cavalièrement. Tous deux fumaient la pipe et portaient, accrochées à la ceinture, de grosses clochettes, sur lesquelles ilks frappaient avec une sorte de marteau allongé !

Quelle était l’origine de ces deux compères ? L’abbé Cochet a avancé que deux fantoches cauchois pourraient bien être les portraits…animés de deux protestants du XVIIe qui, pour quelque outrage envers la religion catholique, auraient été condamnés à payer l’horloge… et à sonner les heures. Il cite à ce propos l’horloge de Saint François du Havre, placées en 1682 et provenant d’amendes infligées à des protestants qui avaient injurié le Saint Sacrement, et le pavage Saint Rémy à Dieppe, payé par un gentilhomme protestant, M. de Crévecœur, pour avoir traversé à cheval et sans se découvrir une procession à Janval.

Ce qui est certain, c’est que Houzou Bénard et Paquet Sivière sont des noms bien normands et cauchois. Auzou se retrouve aussi comme prénom et même dans un nom de lieu : Auzouville. On trouve même dans les comptes d’Auffay un ouvrier charpentier cité en 1692 qui s’appelle Audou Jullien. Quant à Paquet Sivière, ou, prononcé à la normande Chivière, il ne sent pas moins le terroir.

 

Les deux automates sonnait les heures à l’église d’Auffay étaient très célèbres, car uniques dans la région. Représentaient-ils des protestants « condamnés » à sonner ou n’était-ce pas deux « clochetons » de confrères immortalisés sous une forme amusante, avec la clochette à la ceinture…comme on voyait, en 1900, dans les confréries de Charité de l’Eure. Il y avait à Auffay une confrérie du Saint Sacrement et de Saint-Michel, datant du Cardinal Georges d’Amboise et dont les statuts furent approuvés en 1513. En 1729 on comptait encore une confrérie de Sainte Barge, de Saint-Adrien, de Saint-Eloi et de Saint-Crespin !

En 1691, on voit figurer dans les comptes un sieur Robert Andrieu, qualifié de clocheton et payé de 12 livres. Chose curieuse, d’après Henry Havard, ce nom de clocheton était, au XVIIe, le nom que l’on donnait aux Jacquemarts, notamment à celui de la Samaritaine. A Auffay, sur une inscription, dans l’église, concernant un sieur Audou Lenfant, seigneur du Hanouard, il est question de messes clicquées, c'est-à-dire annoncées dans les rues par une sonnerie funèbre ou cliquette agitée par le cliqueteur.

Si ces hypothèses ne séduisent pas le public, pet-on se demander si les deux personnages, fumant la pipe, ne sont pas des figurations de ces deux soldats qui durent, en 1634, être équipés par la paroisse d’Auffay et envoyés, par elle, au service du roi. La paroisse leur fit faire des habits avec aiguillettes, jarretières et lizet, deux grands chapeaux de 65 sous, des épées et baudriers achetés à Dieppe !

Houzou Bénard et Paquet Sivière disparurent lors du terrible incendie déterminé par un coup de tonnerre dans la nuit du 3 au 4 octobre 1867 et furent détruits, ainsi que l’horloge. Mais ils devaient renaître de leurs cendres. Un amusant chanteur local, Benoit Alexandre, qui avant la disparition des deux Jacquemarts, avait chanté leur gloire, provoqua une souscription qui atteignit 500 francs, ceux –ci joints aux 800 produits par la vente du très intéressant opuscule d’Isidore Mars, ancien chef d’institution, sur l’incendie d’Auffay, permirent de ressusciter Houzou Bénard et Paquet Sivière

Tandis qu’on replaçait la nouvelle horloge dûe à Roy de Sainte-Austreberthe, de 1,10m de hauteur environ, sculptée par la maison Bonet, avec ses cloches de 15 kg fixées sur le ventre et que par un mécanisme ingénieux, le marteau vient frapper tous les quarts d’heure. A chaque tintement, Houzou Bénard et Paquet Sivière tournent la tête se faisant face. Dans l’ancienne horloge, les automates, en plus du quart de tour se saluaient. Ce n’est plus le cas, mais le plus important c’est qu’ils aient pu reprendre leur poste, pour l’amusement des touristes !

En dehors des Jacquemarts d’Auffay, comme curiosité d’horlogerie populaire, on ne trouvait à mentionner, autrefois, à Rouen que l’horloge astronomique de l’ancien Palais des Consuls, très vantée par son propre auteur, David Thorelet, on y voyait un petit cupidon qui, »d’un de ses doigts, montre en quel jour on est ». Le bras gauche du petit Amour s’allongeait depuis le 21 décembre jusqu’au 21 juin et se raccourcissait ensuite. Mais l’horloge des consuls marchait cahin-caha et c’est ce que constata, en 1661, l’illustre horloger Balthazar Martinot. Une ancienne horloge du Palais de Justice devait aussi mouvoir quelques automates. « Les badauds restaient trois quarts d’heure pour voir les effets du mécanisme de l’horloge du Marché-neuf et pour entendre l’heure et chanter le coq »

L’horloge de l’abbatiale saint Ouen était légendaire et montrait elle aussi des figurines automatiques. On la disait construite par le diable ou par un sorcier, tout comme l’horloge de Strasbourg ou celle de Lyon.

Il n’y a guère d’autres jacquemarts en activité, en Normandie, mais ailleurs, surtout dans les Flandres, en Belgique, en Suisse et en Allemagne, des automates légendaires sont nombreux pour le plus grand amusement des foules. Il se pourrait même que le nom de Jacquemart tirât ses origines d’un terme étranger : de Jackman : homme armé d’une lance pour Ménage, il vient de l’habillement des anciens guetteurs qui revêtaient une jaque ou jaquette de mailles.

Pour d’autres, c’est le nom de l’habile artisan qui construisit ces premiers automates : Jacques Marc. Pour d’autres, c’est un diminutif de Jacques Marteau par similitude, avec l’instrument qu’ils brandissent ordinairement.

Les automates de Notre-Dame de Dijon, comme ceux de l’église d’Auffay portent aussi le nom de Jacquemart. Ils avaient dû être fabriqués par un ouvrier lillois et on a retrouvé dans cette ville, en 1408, un serrurier nommé Jacquemart Yolens, venu de Mons-en-Hainaut, auquel on a attribué la création de ces automates. En 1500, l’automate est ainsi désigné : « l’homme qui fiert du marteau la cloche de l’orloge ».

A l’horloge de Dijon, il n’y eut tout d’abord qu’un seul personnage, quand Philippe le Hardi, après la bataille de Rosebecque, l’amena de Courtray où elle était, jusque dans la ville bourguignonne, pour punir les flamands d’avoir refusé à Charles VI de rendre les éperons dorés des chevaliers français, tués en 1312. A Jacquemart s’ajouta bientôt une figure de femme Jacqueline. En 1610 et en 1714, lorsque les serruriers Casal, Jean Vale. Sonois procédèrent à une restauration générale, on ajouta un petit enfant chargé de sonner les dindelles et que célébra, en vers, Piron, l’auteur de la Métromanie. Réparés en 1500, 1588, 1592, 1689, refaits presque complètement en 1884 par Château qui a restitué l’un des automates et réparé l’autre, Jacquemart et Jacqueline, fumant leurs pipes, n’ont pax moins continué à servir de thèmes burlesques aux rimeurs bourguignons :

Jacquemarts de rien ne s’étonne.

Le froid de l’hiver, de l’automne,

Le chaud de l’été, du printemps

Ne l’ont su rendre malcontent

 

Les Jaquemarts de Dijon furent les premiers automates mis en mouvement par des poids moteurs, contrairement à ceux qui figuraient dans les anciennes horloges à eau ou clepsydres, venues de Chine ou d’Orient, comme celle donnée par les arabes à Charlemagne et où l’on voyait douze cavaliers frapper les heures.

Bientôt la mode des Jaquemarts se répandit en France : Martin et Martine, les deux Maures, à la figure peu avenante qui sonnent les heures sur le campanile de l’hôtel de ville de Compiègne, les Picantins, trois guerriers du temps de François 1er qui, de leurs longs marteaux piquent les heures sur trois cloches placées à leurs pieds. De même, sous une arcade gothique du beffroi d’Avignon, la Tour Gloriette, un paysan et une paysanne sonnent, à tour de bras, la cloche des heures.

Ces jaquemarts sont les plus connus mais il en existe d’autres en France : Mathurin, à la porte du Haut Pont de Saint Ouen ; les deux escrimeurs qui, à l’hôtel de ville de Calais croisent le fer ; la statuette de la mort qui à Saint Martial de Limoges, sous la forme d’un squelette, ouvrant les mâchoires et tournant la tête, frappe de sa faulx sur le globe terrestre pour sonner les heures ; les jaquemarts de la cathédrale de Lavaur dans le Tarn ; ceux de Lambesc, dont Mme de Sévigné a parlé dans une de ses lettres ; ceux de Niort en Poitou et de Cambrai dans le Nord.

D’autres ont disparu, à Paris ceux de la Samaritaine, célébrés en prose et en vers par les écrivains du XVIIe (lettre consolatrice escipte par le général de la Compagnie des Clocheteurs de France en 1622, par Scarron, par Berthod dans sa description de Paris :

Regarde un peu ce Jaquemart

Teste bleu ! Qu’il fait le monart.

Ne soyons pas trop étonnés

S’il frappe l’heure avec son nez !

Disparu aussi le Jaquemart du château d’Anet où l’on voyait une biche debout frappant l’heure de son pied, tandis que des chiens jappaient en arrière, ouvrant et fermant la gueule.

Disparue aussi l’horloge de Clermont-Ferrand, transportée d’Issoire en 1577 et où l’on voyait Mars et le Temps.

Disparus les Jaquemarts de Fontainebleau, les Dieux et les déesses exécutant une danse pendant que Vulcain frappait l’heure. C’est leur souvenir qui faisait dire en 1695 à Louis XIII enfant, répondant à sa mère : »Mamaga ! Je sonne les heures comme le Jaquemart qui frappe l’enclume à Fontainebleau ». Et le petit roi frappait vivement avec sa cuillère sur un plat d’étain.

En dehors de France, on en retrouverait encore : Hans, d’Iéna avec une tête monstrueuse, celle du fou Klaus, bouffon de l’électeur Ernest de Saxe dont la bouche s’ouvre quand l’heure va sonner. Un vieux pèlerin approche alors une pomme piquée au bout d’un bâton, mais quand la pomme va être avalée, la retire prestement, soumettant le pauvre Hans au supplice de Tantale. Auprès, comme pendant à cette scène, un ange agite à chaque heure son livre et sa sonnette.

En Suisse, à Lunden, on trouve aussi un groupe très pittoresque avec deux chevaliers du XVe se rencontrant et se donnant autant de coups qu’il y a d’heures à sonner. On y voit aussi les mages, suivis de tout un cortège, défiler devant la Vierge et offrir des présents pendant que les anges sonnent de la trompette.

Les pays méridionnaux n’ont pas non plus dédaigné les Jaquemarts. A Venise, l’horloge Saint Marc, construite en 1405, est curieuse avec son défilé automatique des trois rois devant la Vierge et son groupe de carillonneurs frappant la cloche à coups de marteau.

On pourrait mobiliser toute une armée de Jaquemarts, automates, pantins, mannequins, fantoches et magots, sérieux ou plaisant, sévères ou drolatiques, tous armés de marteaux ou de fléaux, tous sonnant, tintant, frappant, piquant et clochaillant. Toutefois en dépit de l’ingéniosité de leurs mécanismes plus compliqués, il n’en est guère qui aient conquis une réputation aussi répandue que les Jaquemarts d’Auffay, Houzou Bénard et Paquet Sivière, les deux compères qui de leur petite guérite, tout en fumant leur pipe éternelle, semblent veiller de haut et de loin sur les destinées de cette petite ville cauchoise !

(extrait d’un article de G Dubosc, présenté par Yves Foche et Gérard Bertoul)

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